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Les grandes multinationales et leurs monopoles ainsi que les nombreux cartels s’étant développés dans la deuxième moitié du 19ème siècle, sont la preuve vivante, à travers leurs effets négatifs sur l’Homme et la planète, que les théories  libérales et néo-libérales d’Adam Smith, Friedrich Hayek ou Milton Friedman (pour ne citer qu’eux) ne sont que des systèmes utopiques destructeurs et inapplicables dans les faits. Pourtant, malgré les désordres économiques et les souffrances sociales constatées sur l’ensemble de la planète suite aux différentes crises financières de ces dernières années, les responsables politiques de tout bord des principaux pays « développés » continuent de s’évertuer à tout faire pour que les conditions favorables à l’application concrète des idées de ces penseurs soient réunies.

Les principes que ces derniers défendent, et qui sont à la base de tout le système économico-financier actuel, sont finalement assez simples à comprendre. Même si ils connurent quelques précédents[1], ils furent pour la première fois théorisés de manière magistrale à la fin du 18ème siècle par l’Anglais Adam Smith (1723-1790)[2]. Ce dernier écrivit qu’afin d’éliminer la pauvreté et de garantir la richesse d’une nation, la meilleure chose à faire (et c’est le rôle de l’Etat) est d’éliminer toutes les barrières légales au libre échange et d’encourager la liberté individuelle dans l’économie, sans ingérence d’aucune sorte de la part d’une quelconque entité économique ou politique. En cherchant à prospérer individuellement, de manière égoïste, sans se préoccuper des autres acteurs ou d’un quelconque besoin commun, on contribue ainsi à créer de la prospérité pour l’ensemble de la société. Une « main invisible », – qui n’est ni politique, ni économique, ni rien du tout – se charge ensuite de coordonner, pour le bien de tous, les actions et entreprises individuelles.

Durant tout le 19ème siècle, suite à la Révolution française, ces idées libérales furent longuement débattues et appliquées à des degrés différents selon les pays. C’est cependant dans les pays anglo-saxons qu’elles furent le plus largement adoptées. En France, il faudra attendre l’avènement de Napoléon III (1871), pour qu’un réel régime libéral se mette en place. Mais nulle part, la pensée de Smith ne fut appliquée dans son entier, d’un bloc. Plusieurs autres penseurs du libéralisme (Burke, Paine, Mill et Bentham en Angleterre ; Tocqueville, Say et Bastiat en France) apportèrent leurs petites touches à ses idées principales.

Avant la première guerre mondiale cependant, mis à part les pays anglo-saxons (empire Britannique et USA) et la France, l’Europe vivait encore largement au rythme d’une législation économique et politique encore fortement teintée des idéaux de l’Ancien régime. Certains pays comme la Russie et la Chine (sans parler des autres nations situées en dehors des frontières européennes d’alors) étaient loin derrière les pays anglo-saxon au niveau de leur développement industriel.

Dans le même temps, quelques multinationales commençaient tout juste à prendre de l’importance. Certaines compagnies américaines, souvent regroupées en cartel, avaient en effet déjà une énorme influence sur certains marchés spécifiques, comme celui du pétrole (la National refiners association, sous la direction de la Standard Oil et de John W. Rockfeller, regroupait alors 80% des raffineurs américains).

Il faudra pourtant attendre les années 1970 pour voire un nombre toujours plus grand de multinationales monter en puissance et devenir des acteurs majeurs sur la scène internationale. Il est intéressant de noter que l’explosion du nombre de grandes compagnies financières à caractère monopolistique coïncida avec les politiques néolibérales prônées dans les années 1980 par les gouvernements Thatcher, Reagan, Kohl et Mitterrand. S’inspirant des théories d’Adam Smith, mais aussi de Friedrich Hayek et de Milton Friedman, les responsables politiques s’appliquèrent alors, comme cela n’avait encore jamais été fait auparavant, à déréguler l’économie et la finance, essayant d’implémenter l’idéologie néolibérale de la façon la plus aboutie possible dans tous les secteurs de la vie économique (taux de change flottant, suppression des taxes douanières, optimisation fiscal, privatisations).

Paradoxalement, alors même que le contexte politique et économique se rapprochait de plus en plus des idées fondamentales énoncées à la fin du 18ème par Adam Smith, les résultats concrets du développement des entreprises « laissées à elles mêmes » et non régulées par l’Etat semblaient venir contredire les prémisses du système libéral. En cherchant à optimiser leurs profits personnels, à croître exponentiellement,  les individus et les entreprises se mirent, parce que plus aucunes lois ne les en empêchaient, à se développer de façon très inégale. Cela eut pour conséquence le rachat des entreprises les plus « faibles » par celles étant les plus riches et les plus « puissantes », constituant ainsi toute une série de monopoles qui n’existaient pas auparavant (ou en tout cas de manière plus sporadique)[3].

Ce que cela nous permet de constater est que dans un système à caractère néolibéral, les fondamentaux même de ce système, tels la libre concurrence et l’atomicité de l’offre et de la demande, deviennent aussi illusoire que le concept de la main invisible évoqué par Smith. En économie, comme dans bien d’autres domaines de la vie, la prédominance des plus forts se fait inévitablement au détriment des plus faibles, et aucune main invisible n’est là pour rétablir l’équité. Il semble même que plus les conditions nécessaires à sa venue sont rassemblées, et moins ses effets se font sentir.

Dans le même temps, les Etats sont devenus impuissant à contrer l’influence grandissante de ces géants de la finance dont il ont favorisé l’émergence. Agissant en effet sur un terrain de jeu de la taille de la planète, ces mastodontes se situent maintenant au-dessus des législations nationales capables de les réguler, mettant les nations en concurrence les unes avec les autres. Les moindre velléités de régulations se trouvent ainsi immédiatement sanctionnées par des délocalisations et une perte de compétitivité des pays concernés.De nos jours, tout se passe en fait comme si les multinationales jouaient le rôle de la main invisible de Smith, de façon bien réelle cette fois, faisant la pluie et le beau temps sur les marchés et dans les parlements.

Ce qui est le plus navrant pourtant, c’est que les décideurs politiques semblent ne pas voire cette réalité, ou en tout cas tout faire pour l’occulter, clamant haut et fort qu’ils demeurent les principaux acteurs de la construction du monde de demain. Dans les grandes écoles de part le monde, qui plus est, les théories économiques néolibérales ont la vie dure et continuent d’être enseignées aux futures générations de politiciens et de professionnels de l’économie, formatant leurs esprit, les convainquant que le seul système valable et efficace est celui qui leur est enseigné.

A force de vouloir continuer à appliquer un système idéologique qui a fait long feu, et qui se prouve de lui-même être erroné, nous allons droit dans le mur. Des solutions viables, telles que l’économie sociale ou la finance solidaire, existent pourtant. Mais ce qui est bon pour la société civile ne l’est malheureusement pas souvent pour les grands de ce monde.


[1] Voire notamment, « La fable des abeilles » de Bernard de Mandeville (1714), ou les écrits de John Locke.

[2] Cf., De la richesse des Nations, (1776)

[3] Au début des années 1980, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), on comptait 7 000 multinationales. En 2002 elles étaient 64 000 contrôlant 870 000 filiales employant 54 millions de personnes et représentant 70 % des flux commerciaux mondiaux. (cf. UNCTAD/WIR/2002, p.1.)

Toutes les multinationales ne sont pas forcément des monopoles, mais la plupart tendent à le devenir, car leur principe même d’existence est la croissance.

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