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Un accord de cessez-le-feu permanent a été déclaré mardi 26 août entre le Hamas et Israël. Cette décision met fin à cinquante jours de guerre dans la bande de Gaza. Derrière le drame humain (plus de 2130 morts) et les tensions politiques entre les deux camps se cache un enjeu stratégique majeur : le contrôle des réserves palestiniennes de gaz.

Une gigantesque flamme de gaz s’élève dans l’air chaud de la mer méditerranée orientale. Depuis un bateau de pêche, Yasser Arafat, alors président de l’Autorité palestinienne, ne perd pas une miette du spectacle qui se déroule devant ses yeux. « C’est un cadeau de Dieu pour nous, notre peuple, nos enfants. Cela fournira une base solide à notre économie, à l’établissement d’un Etat indépendant ayant Jérusalem la sainte pour capitale », s’exclame-t-il ébahi.

Nous sommes à l’automne de l’année 2000, à la veille de la seconde Intifada, à quelques encablures d’une plateforme d’exploration gazière offshore. Le gisement de gaz naturel Gaza Marine, situé en eaux palestiniennes à une trentaine de kilomètre des côtes de la Bande de Gaza, vient d’être découvert.

Le Gaz palestinien, source des tensions

Quatorze ans plus tard, l’exploitation du gisement Gaza Marine se fait toujours attendre. En 2014, alors que les hostilités entre Israël et le Hamas ont repris à Gaza après un cessez-le-feu avorté de 72 heures, le gaz est devenu un des enjeux majeurs entre le Hamas et Tel-Aviv.

Les raisons de l’intérêt israélien pour le gaz présent dans les eaux territoriales palestiniennes sont multiples, et de nature à la fois politique, économique et géostratégique.

Selon les estimations de l’U.S. Geological Survey, Gaza Marine pourrait produire 1.7 milliards de m3 par an pendant une vingtaine d’année, et rapporter entre 4 et 7 milliards de dollars à celui qui l’exploite.

La crainte d’un Etat palestinien fort

Une de des craintes d’Israël est que cette manne financière, obtenue par la vente du gaz, serve à l’édification d’un Etat palestinien fort s’appuyant sur ses propres ressources gazières pour développer son économie, comme l’espérait Yasser Arafat en 2000.

Depuis la prise de pouvoir des islamistes du Hamas dans la Bande de Gaza en 2006, cette peur n’a fait que croitre et a été renforcée par la possibilité que la rente du gaz ne favorise les islamistes extrémistes. « L’expérience d’Israël lors des années suivant les accords d’Oslo indique que les profits du gaz palestinien ont de grande chance de financer le terrorisme contre Israël. La menace ne se imite pas au Hamas… il est impossible d’empêcher qu’au moins une partie des bénéfices de l’exploitation du gaz ne parviennent dans les poches des terroristes palestiniens », s’inquiétait en 2007 Moshe Ya’alon, l’actuel ministre de la défense et ancien ministre des affaires stratégiques israélien.

Acheminer le gaz palestinien en territoire israélien

Pour parer à de telles perspectives, les gouvernements successifs de Tel-Aviv ont essayé depuis 2005 de trouver un accord avec British Gas group, la société britannique ayant obtenu en 1999 le droit de forer pour une durée de 25 ans les puits de gaz palestiniens Marine 1 et Marine 2 (Gaza Marine), afin de détourner l’exploitation de ces derniers en acheminant leur gaz à Ashkelon, en territoire israélien.

Dans un article publié dans le Journal of Palestine Studies de l’Université de Standford, une des publications les plus respectées concernant le conflit israélo-palestinien, Anais Antreasyan explique que le blocus de Gaza a été conçu dans le but de rendre « tout accès aux gisements Marine-1 et Marine-2 impossible pour les palestiniens. » L’objectif d’Israël à long terme, « en plus du fait d’empêcher les palestiniens de pouvoir exploiter leur propres ressources, est d’intégrer les champs de gaz au large des côtes de Gaza à une installation israélienne offshore », précise-t-elle, dans la ville d’Ashkelon.

Ce projet, ajoute-elle, fait partie d’une ambition plus large cherchant à « … séparer les palestiniens de leur terre et de leurs ressources afin de pouvoir les exploiter, et, en conséquence, bloquer leur développement économique. Malgré tous les accords indiquant le contraire, Israël continue de gérer les ressources naturelles placées sous la juridiction de l’autorité palestinienne, des terres et de l’eau jusqu’au hydrocarbures. »

Un objectif qui entre dans celui de contrôler l’entier des ressources énergétiques du Bassin Levant, et de fait, le Moyen-Orient. Pour le gouvernement Israélien, le Hamas est le seul obstacle à la finalisation d’un accord avec British Gas destiné à dévier le gaz israélien à Ashkelon via un pipeline sous-marin.

« Eliminer le Hamas en tant qu’entité politique »

De ce constat résulte la volonté de l’Etat israélien de restreindre la zone maritime au large de Gaza, qui aujourd’hui à cause du blocus n’est plus large que de 5 à 11km. En résulte aussi la volonté d’« éliminer le Hamas en tant qu’entité politique viable à Gaza en réhabilitant le Fatah», écrit en 2008 Mark Turner, fondateur de la Research Journalism Initiative, dans l’espoir de recréer un climat politique permettant de conduire à un accord sur le gaz.

Si le contrôle du gaz et de sa rente, dans leurs dimensions politiques et économiques, sont essentiels à la compréhension des causes profondes de tous les conflits entre Israël et la Palestine depuis les années 2000, un autre élément est venu s’ajouter aux causes du conflit actuel : l’arrivée de la Russie comme partenaire commercial éventuel de la Palestine dans le domaine énergétique.

Gazprom à Gaza Marine ?

Le 23 janvier 2014, le président palestinien Mahmoud Abbas était accueilli à Moscou par son homologue russe Vladimir Poutine. L’agence russe Itar-Tass relate que lors des discussions est évoqué la possibilité de confier au géant russe de l’énergie Gazprom l’exploitation du gisement de gaz présent dans les eaux gazaouies, ainsi que le développement d’un champ pétrolifère proche de la ville de Ramallah, en Cisjordanie.

Si d’aventure un accord avec Gazprom sur Gaza Marine devait se conclure, cela reviendrait à évincer de l’exploitation du gisement le consortium emmené par British Gas Group, qui s’est montré favorable dès 2005 aux demandes d’Israël et de ses alliés occidentaux pour que le gaz de Gaza Marine soit acheminé sur son territoire.

Concurrence israélo-russe en Cisjordanie

Dans le prolongement des discussions palestino-russes autour du gaz, la société russe Technopromexport s’est également dite prête à participer à la construction, en Cisjordanie, d’une centrale électrique d’une puissance de 200 MW, destinée à répondre à un réel manque d’infrastructure électrique dans la région, souvent sujette aux pannes de courant. Problème là aussi : ce programme vient concurrencer un autre projet israélien visant à vendre une partie du gaz national issu du champ gazier Léviathan aux palestiniens à travers la construction d’une autre centrale thermoélectrique à Jenin, dans le nord de la Cisjordanie.

Cette concurrence n’est bien sûr pas du goût de Tel-aviv et de Washington. Les deux alliés voient d’un mauvais œil une possible extension de la présence russe au Moyen-Orient, qui viendrait, en renforçant l’indépendance énergétique et la puissance de l’Autorité palestinienne, contrer leurs velléités hégémoniques dans le Bassin Levant et le Moyen-Orient.

D’autant plus que le 2 juin dernier, la formation d’un nouveau gouvernement palestinien d’unité nationale a été entérinée, et vient renforcer la possibilité qu’un accord entre Palestiniens et Russes parvienne à se concrétiser.

Dans ce cadre, le 25 juin, à Moscou, Vladimir Poutine recevait à nouveau son homologue palestinien Mahmoud Abbas. Au programme : le renforcement des relations bilatérales dans le domaine économique et commercial. Le président de l’Autorité palestinienne n’a pas hésité à qualifier cette entrevue de « réunion entre deux amis. » Hasard du calendrier ou pas, deux semaine à peine après cette visite, le 8 juillet, avait lieu les premières frappes israéliennes sur Gaza.

=> Article publié initialement sur Ijsberg Magazine

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