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Après douze ans de négociations, un accord-cadre sur le nucléaire iranien a finalement été trouvé, jeudi soir, en Suisse. Tour d’horizon des points clés et des enjeux de cet accord.

Martin Bernard

8 avril 2015 – Le moment est sans doute historique. Un accord de principe sur le nucléaire iranien a été trouvé jeudi soir à Lausanne, en Suisse. Réunis dans la ville vaudoise depuis le 26 mars, les chefs de la diplomatie des grandes puissances du groupe « P5+1 » (États-Unis, Chine, France, Russie, Grande-Bretagne et Allemagne) et de l’Iran sont parvenus à s’entendre sur les grandes lignes d’un compromis « d’étape », avant la conclusion d’un accord final le 30 juin prochain. Cet accord doit garantir l’utilisation de l’énergie nucléaire par Téhéran uniquement à des fins civiles. « C’est une entente sérieuse qui comporte des détails précis, commente François Géré, fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS). Ça représente de la part de l’Iran énormément de concessions sur son programme nucléaire  ». Il pourrait s’agir d’un premier pas décisif vers une redistribution des cartes géopolitiques et économiques au Moyen-Orient. Reste maintenant trois mois pour continuer à négocier certains points, et rédiger les détails et les modalités d’application.

Bien que négocié en commun par les grandes puissances du groupe « P5+1 », ce sont les États-Unis qui ont le plus d’intérêts stratégiques dans la conclusion d’un accord avec l’Iran. Américains comme Iraniens font face depuis peu à un ennemi commun : l’État Islamique, présent en Irak et en Syrie. Pour Washington, un accord avec Téhéran sur le nucléaire permettrait donc de calmer l’escalade de violence dans la région, « mais aussi de coopérer de façon ponctuelle avec l’Iran sur divers dossiers régionaux  », précise Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). « En cas d’accord, les Iraniens ont accepté de collaborer avec les Américains et les Chinois pour stabiliser la situation en Afghanistan  ».

L’accord en trois points clés

Le point central des discussions portait sur le programme de recherche et de développement du nucléaire iranien. Au cœur du débat : le nombre de centrifugeuses permettant d’enrichir l’uranium nécessaire à alimenter une centrale ou à fabriquer une bombe atomique, dont peut disposer l’Iran. Le pays en possède actuellement près de 9000. Seules 5060 de ces centrifugeuses devraient rester en activité. L’Iran a aussi accepté de réduire son stock d’uranium faiblement enrichi et de ne pas enrichir d’uranium au-delà de 3,67 % (il doit l’être à 90 % pour construire une bombe) pendant 10 ans.

Autre exigence des Occidentaux : que l’Iran accepte la mise en place d’une surveillance renforcée de ses installations au-delà du protocole habituel, sur toute la durée de l’accord (fixée à 10 ou 15 ans selon les points). Une surveillance « qui sera très difficile à réaliser pour des raisons pratiques en raison du nombre d’installations et de la facilité à faire de la recherche en dehors des grandes centrales comme celle de Natanz », souligne François Géré.

Le troisième point concerne la levée des sanctions internationales imposées à l’Iran à partir de 2006. Comme le précise un texte publié par la Maison-Blanche, elles ne seront pas toutes levées. Certaines sanctions américaines et européennes seront seulement « suspendues » une fois que l’Agence Internationale de l’Énergie atomique aura vérifié que Téhéran respecte tous ses engagements, et seront susceptibles d’être rétablies en cas de non-respect de ces derniers. Les sanctions de Washington et de l’ONU touchant le terrorisme, les violations des Droits de l’Homme, les armes conventionnelles et les missiles balistiques, « resteront en vigueur pendant la durée de l’accord ».

L’Iran, pièce centrale de la géopolitique régionale

Selon le stratège américano-polonais Zbigniew Brzezinki, l’Iran constitue « un pivot géopolitique crucial » pour la prédominance des États-Unis au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Il affirme que le pays sert « d’élément stabilisateur dans la redistribution du pouvoir en Asie centrale. Sa domination sur la frange orientale du golfe Persique et sa volonté d’indépendance affirmée, même si elle s’accompagne d’une grande hostilité à l’égard des États-Unis, empêchent la Russie de menacer les intérêts américains dans la région du golfe persique ». Une région stratégique où se concentrent les plus importantes réserves d’hydrocarbures conventionnelles de la planète, près de 40 % du commerce mondial de pétrole, et, de ce fait, une circulation maritime très dense par le détroit d’Ormuz. L’Iran est donc une pièce centrale de la géopolitique et de la géostratégie régionales.

Dans cette optique, l’aggravation en Iran des tensions dues aux sanctions internationales réduirait ce rôle stabilisateur. « Si aucun accord n’était trouvé en juin, la situation actuelle au Moyen-Orient empirerait, avec une escalade des conflits ethnico-religieux, une radicalisation des positions sur la question syrienne, et une montée du nationalisme iranien », analyse François Géré, fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS). L’Iran pourrait par exemple agir pour renforcer la domination chiite en Irak, ce que cherchent à empêcher les États-Unis et l’Arabie Saoudite. L’escalade des tensions pourrait aussi par ricochet provoquer des remous politiques en Asie Centrale.

De son côté, l’Iran, par sa culture et son passé millénaire, se considère comme une puissance régionale majeure, et aspire à retrouver ce statut. « Les Iraniens considèrent que ce rôle leur revient de droit. Contrairement à ce que l’on peut entendre, leur société civile est assez moderne, religieusement tolérante et bien éduquée, ajoute Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’IRIS. Dans ce sens, elle peut être aussi un exemple dans la région. »

Autre conséquence d’un rapprochement entre l’Occident et l’Iran sur l’échiquier du Moyen-Orient : l’obligation de la Turquie de réviser avec souplesse ses positions régionales, sur la Syrie et l’avenir des Kurdes en Irak notamment.

Un gros marché pour les produits européens

Pour les entreprises européennes et russes, l’Iran représente par ailleurs un marché de près de 80 millions d’individus au fort potentiel. La Russie a déjà signé des contrats d’armements et de construction de nouvelles centrales nucléaires avec Téhéran, qui souhaite aussi développer ses infrastructures, ses télécommunications, son aéronautique et son industrie spatiale, « déjà étonnamment développée  », note François Géré. L’Iran a déjà lancé en orbite plusieurs petits satellites de communication, et ambitionne de réaliser un vol spatial humain d’ici 2020.

Avant la crise en 2006, la France avait de très gros marchés en Iran, dans l’automobile notamment, qui représentaient 60 % des exportations françaises dans le pays. Les échanges commerciaux entre Paris et Téhéran avoisinaient annuellement 4,5 milliards d’euros. Pour Thierry Coville, pas sûr que ces volumes soient retrouvés en cas d’accord : « dans ce dossierla position française a été pro israélienne et saoudienne, et particulièrement ferme envers l’Iran. Cela pourrait peser négativement dans l’obtention de contrats futurs.  »

Hostilité israélienne 

À Tel-Aviv, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’est empressé de condamner le compromis trouvé à Lausanne, qui « menacerait la survie d’Israël, et ne bloquerait pas l’accès de l’Iran à la bombe, mais l’ouvrirait  ». Une hostilité surtout idéologique, pour Thierry Coville, en raison du soutien de Téhéran au Hamas et au Hezbollah, qui freinent l’expansion de l’influence israélienne au Proche-Orient. « Netanyahou joue avec la peur des gens pour des raisons politiques infondées  », ajoute le spécialiste, en référence aux propos du premier ministre israéliens sur l’imminence de l’accès de l’Iran à la bombe atomique, proférés en 2012 devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Des propos qui ont depuis été contestés par le Mossad et divers autres services secrets occidentaux, dans des documents dévoilés par Al-Jazeera et The Guardian le 23 février 2015.

Malgré un optimisme certain des dirigeants iraniens et occidentaux, cet accord ne changera pas immédiatement la dynamique géopolitique profonde du Moyen-Orient. « L’impact d’un accord serait symboliquemais ne signifierait pas une détente immédiate et généralisée dans la région, soutient François Géré. Les Iraniens sont en total désaccord avec plusieurs positions américaines, notamment en Syrie (où Téhéran est l’allié de Bachar Al-Assad) ». Mohammad Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien a d’ailleurs rappelé jeudi que « les relations irano-américaines n’ont rien à voir avec cette négociation. Il subsiste de sérieuses différences entre nous, trop d’années de défiance. Nous allons attendre et voir comment évoluera la situation  ». Sans compter qu’au-delà de leurs relations privilégiées avec Washington, il est aussi possible que l’Arabie Saoudite et Israël, ennemis jurés de l’Iran, prennent des mesures pour contrer cet accord.

 

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