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Le journalisme long-format, en ralentissant l’information, permet d’en saisir les nuances et la complexité. Il donne au lecteur des clés pour changer le monde.

Martin Bernard et Steeven Ballein

22 août 2014 – Brèves, alertes, flashs ou tweets, la quantité d’information disponible actuellement permet de tout savoir du monde sans rien y comprendre. A la radio, à la télévision, sur papier ou sur internet, sur tablette ou dans la rue, l’information est aujourd’hui omniprésente. « Les gens sont gazés d’informations », constate Maxime Thuillez, fondateur du Coucou, un mook à paraître prochainement.

Une étude rapportée en 2010 par le New York Times mentionnait qu’en trente ans, la consommation d’information a augmenté de 350%. De l’ultra-connexion a résulté l’immédiatision de l’information, disponible en un clic partout et à tout moment, sur Twitter ou sur les chaines d’information continue. En France, BFM TV ne cesse de voir ses parts de marché augmenter d’année en année. Aujourd’hui la chaine d’information en continu est regardée quotidiennement par près de 10 millions d’individus.

Censé éclairer, ce bombardement médiatique permanent semble au contraire saturer les esprits. Être noyé dans le flux incessant de l’actualité « conduit à une inéluctable myopie du monde, à un écrasement du regard sur une succession de parties qui finissent par ne jamais faire un tout », analyse Xavier Delacroix, le fondateur du bimensuel Au Fait.

« Travailler à contre-temps de l’émotion immédiate »

Pour remédier à l’aveuglement résultant du matraquage informationnel, certains journalistes ont fait le pari de la lenteur afin de redonner à l’actualité une certaine profondeur et une certaine pertinence. Il est nécessaire de « prendre le temps de l’enquête – aller voir, laisser infuser et revenir – et travailler à contre-temps de l’émotion immédiate », écrivent Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Béccaria dans le manifeste de XXI.

La revue XXI, crée en 2008, a été pionnière par sa volonté de s’inscrire à contre-courant de l’immédiateté incarnée par les « clics » de la révolution numérique. Avec sa parution trimestrielle, elle a lancé la mode des mooks, ces livre-revues vendus uniquement en librairie ou en relai, et dont le modèle continue d’essaimer actuellement. A sa suite, de nouveaux médias comme Longcours ou Au Fait, ont eux aussi tenté le pari du long-format. Leur constat est simple : « l’extrême instantanéité de l’information réduit le champ de compréhension des phénomènes globaux », observe Xavier Delacroix. « Pour diminuer cet effet, il est nécessaire de proposer aux lecteurs des éléments de décodage qui passent forcément par de la lenteur ».

Comprendre pour mieux agir

Par le recul qu’il permet de prendre sur l’actualité « chaude », le journalisme « long-format donne aux lecteurs les moyens de mieux comprendre le monde, mais aussi ceux de le transformer », nous confie Patrick de Saint-Exupéry. Sur papier ou en ligne, de nouvelles initiatives comme Le Coucou, Ulyces ou le Quatre-Heures, créées cette année par de jeunes journalistes, ont elles aussi pour volonté de ralentir l’actualité en la racontant et en la décryptant à l’aide d’histoire et de longs reportages.

« Les lecteurs se souviennent mieux d’une information lorsqu’elle est présentée sous forme d’histoire », confie Charles-Henry Groult, co-fondateur du Quatre-Heures, un média de slow journalisme uniquement en ligne. « Et s’ils s’en souviennent mieux il est possible ensuite d’espérer que cela les incite à essayer de changer le monde ».

Pour ces nouveaux médias opérant à contre-temps de l’information habituelle, le long-format implique de décrire le monde dans toute sa diversité, sous tous ses angles et dans toutes ses sinuosités ; de « rentrer dans la complexité des choses en décrivant tous les détails et toutes les nuances d’un problème », précise Patrick de Saint-Exupéry. Cela revient à décrire ce qui ne fonctionne pas, mais aussi les initiatives cherchant à résoudre un problème existant, comme la désindustrialisation française par exemple .

La nécessité de soigner la plaie

A la suite d’Albert Londres, la profession a surtout essayé avec plus ou moins de rigueur de « porter la plume dans la plaie », sans jamais vraiment songer à l’utilité de décrire aussi les remèdes nécessaires à la soigner. Pointer du doigt les nouvelles alternatives est pourtant essentiel, car cela permet d’éclairer le lecteur sur ce qu’il est possible d’entreprendre, en donnant l’espoir qu’un changement est envisageable.

« Mettre l’accent uniquement sur des histoires négatives peut entraîner les lecteurs à penser que le journalisme est biaisé dans sont traitement de l’actualité », avoue Charles-Henry Groult. « Décrire la réalité, ce qui est le travail du journaliste, implique le traitement des dysfonctionnements sociaux mais aussi celui des solutions à ces dysfonctionnements ». C’est la condition pour que le lecteur puisse se faire une idée globale et non faussée du monde qui l’entoure.

Journalistiquement, décrire les nouvelles alternatives est cependant déontologiquement très difficile. « La frontière est mince entre bonnes nouvelles et communication », met en garde Xavier Delacroix. C’est un exercice qui demande une grande rigueur et une grande vigilance. A une époque ou la communication d’entreprise prend parfois le dessus par rapport à l’information journalistique, il est souvent compliqué de démêler le vrai du faux, la bonne foi de la communication. « Il est important de montrer aussi les limites d’une alternative, ou de la mettre en relief avec d’autres solutions pour qu’elle soit crédible », souligne Charles-Henry Groult.

Xavier Delacroix se montre lui optimiste envers la jeune génération : « Je la sens capable de remettre les codes journalistiques en cause ». Le long-format, solution envisageable pour donner au lecteur à la fois une meilleure compréhension du monde et les clés pour que lui même puisse le changer, permettrait peut-être aussi à une presse écrite en crise de trouver un nouvel espace d’expression.

 

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