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A mesure que l’Arctique se libère de son étendue glacière, les richesses de son sous-sol et l’accès facilités aux routes maritimes longeant les côtes russes et canadiennes attirent les convoitises. Au-delà des enjeux commerciaux se profilent aussi des enjeux géopolitiques mettant aux prises les Etats-Unis et la Russie, mais aussi la Chine et le Japon. La France, elle, est la grande absente du terrain de jeu arctique.

Par Martin Bernard

1er décembre 2014 – Les glaces de l’Arctique fondent inexorablement. La banquise recouvrant une partie de la plus vaste étendue d’eau douce au monde (14 millions de km2) a atteint en septembre son niveau le plus bas de l’année. En trente ans, trois millions de km carré de glace ont disparu, l’équivalent de six fois la France. « A certains endroits, près des zones côtières, la banquise est en voie de disparition durant l’été », affirme Rémy Marion, spécialiste de l’ours polaire et auteur de nombreux ouvrages sur l’Arctique.

Ce processus de fonte lié au réchauffement climatique n’est pas près de s’inverser, selon les spécialistes. A l’horizon 2030, ces derniers estiment que la région pourrait être praticable à la navigation durant 2 à 6 mois de l’Année.

De telles perspectives attirent les convoitises de nombreux acteurs, parmi lesquels les cinq pays limitrophes (Russie, Canada, Norvège, Etats-Unis et Danemark), mais aussi la Chine, le Japon ou la Corée du Sud, pour qui la zone représente des enjeux économiques et géopolitiques majeurs.

Ces questions ont été abordée jeudi 25 septembre à Paris lors du colloque « Peut-on et doit-on sauver l’Arctique », organisé par le Cluster Polaire Français et l’école de relations internationales ILERI.

Une zone qui recèle de ressources naturelles

Economiquement, la région regorge de ressources naturelles inexploitées. Selon une étude conduite en 2008 par l’US Geological Survey (USGS), l’Arctique recèlerait un quart des réserves mondiales totales non prouvées d’hydrocarbures (gaz et pétrole conventionnels et non-conventionnels). La mer de Kara disposerait par exemple d’autant de pétrole que l’Arabie Saoudite. Plus important encore, selon la même étude, l’Arctique serait la première réserve mondiale d’uranium, et la deuxième de terres rares, dont les 17 composantes sont indispensables au développement des outils technologies (smartphones, ordinateurs, etc.). Toutes ces ressources, stratégiquement vitales pour les acteurs internationaux publics et privés, pourraient être exploitées de manière intensive si la glace qui recouvre encore l’Arctique en été venait à disparaître complétement.

Cette disparition permettrait aussi d’augmenter les transits empruntant les routes maritimes longeant les côtes russes (nord-est) ou canadiennes (nord-ouest) pour relier l’Atlantique au Pacifique plus rapidement et à moindre coût.

La Russie est aujourd’hui l’acteur prépondérant en Arctique. « Moscou a 200 ans d’avance sur tous les autres en terme de pensée stratégique dans la région  », confirme Oleg Kobtzeff, spécialiste de l’Arctique russe et professeur de géopolitique  à l’American University of Paris et à ILERI. Depuis le début des années 2000, la Russie y développe fortement son activité pétrolière et fait de ce secteur la pierre angulaire du maintien de sa puissance énergétique, c’est-à-dire de sa politique étrangère. En témoigne la découverte samedi 27 septembre d’un nouveau champ pétrolier dans la mer de Kara, nommé Pobeda, signifiant Victoire en russe.

Le 29 août, la Russie et le Japon participaient à Mourmansk, aux portes de l’Arctique, à une réunion de travail bilatérale visant à établir une coopération renforcée entre les deux pays. « Il n’est pas vraiment question pour le Japon d’investir directement en Arctique, mais de devenir un point d’ancrage dans le Pacifique, un point de passage obligé sur la route du nord-est reliant l’Europe à l’Asie via l’arctique russe  », explique Mikå Mered, directeur de Polarisk Group et co-fondateur du Cluster Polaire Français. « Pour la Russie en revanche, l’attrait de l’Arctique revêt une ambition géopolitique ancienne : encercler l’Europe par le nord  ». Puissance terrestre, sécuriser le Grand nord permettrait aussi à Moscou de s’assurer un accès direct et rapide aux débouchés maritimes du Pacifique et de l’Atlantique.

Les Etats-Unis sous pression

La volonté de puissance affichée de Moscou dans le cercle polaire oblige Washington à redéfinir les lignes classiques de sa pensée stratégique. Depuis le début du 20ème siècle, la géopolitique anglo-saxonne a considéré le continent eurasien (occupé par la Russie et la Chine), le Heartland de Halford J. Mackinder, comme le lieu propice au développement d’une puissance au potentiel hégémonique capable de remettre en cause la suprématie d’abord britannique puis américaine du monde. De cette conception résulte une politique étatsunienne de «  containment  » en Europe de l’est et dans le Pacifique, destinée à maintenir un équilibre des pouvoirs en Eurasie et à prévenir l’émergence d’une puissance rivale sur la scène internationale. Le réchauffement climatique et la fonte de la banquise chamboulent le raisonnement classique des stratèges de Washington.

Début juillet 2014, un représentant spécial pour l’Arctique a été nommé par le secrétaire d’Etat américain John Kerry, dans le but de « faire avancer les intérêts des Etats-Unis dans la région », précise Washington. Cette nomination est cruciale en vue de préparer la présidence américaine du Conseil de l’Arctique (forum intergouvernemental crée en 1996) qui débutera en avril 2015 pour une durée de deux ans. Problème, des dissensions entre Washington et l’Alaska freinent la mise en place d’une ligne politique claire dans le Grand nord. « Les Etats-Unis devront utiliser leur présidence pour réorienter efficacement leur stratégie dans l’Arctique. S’ils n’y parviennent pas, leur retard sur la Russie dans la région sera irrattrapable », avance Mikå Mered.

Les ambitions discrètes de Pékin

La Russie n’est pas la seule puissance d’envergure mondiale à s’intéresser à l’Arctique. La Chine, bien que non limitrophe, y développe également depuis plusieurs années une stratégie ambitieuse. Détenant 95 % des réserves de terres rares, Pékin tente de pérenniser son monopole en créant des relations bilatérales avec le Groenland, qui possède la deuxième réserve mondiale. Parallèlement, Pékin noue aussi d’étroites relations commerciales avec Moscou. Le 1er septembre dernier, Vladimir Poutine a donné son feu vert à la construction d’un gazoduc géant destiné à l’acheminement du gaz sibérien jusqu’en Chine. Un projet important en vue d’un rapprochement russo-chinois. Moscou a également conclu avec Pékin en mai dernier – et ceci est à mettre en parallèle avec la crise ukrainienne – un accord record de 350 milliards d’euros prévoyant dès 2019, et pour trente ans, la livraison annuelle de 38 milliards de mètres cubes de gaz à la Chine.

Sous couverts de partenariat bilatéraux avec le Groenland, la Russie ou l’Islande, destinés officiellement à la recherche scientifique ou le tourisme, la présence chinoise dans le cercle polaire dévoile un agenda géopolitique bien plus important. Conscients de ne jamais pouvoir combler le retard qu’accuse leur pays face aux Etats-Unis en terme de puissance maritime et aérienne, les stratèges de Pékin ont décidé d’axer leurs efforts sur la cyber-défense. Ils ambitionnent d’investir les pôles afin de se rendre maître de l’espace.

Dans cette optique, la Chine a ouvert le 8 février 2014 une quatrième base scientifique en Antarctique, Taishan, à plus de 2600 mètres d’altitude, et possède depuis 2004 à Svalbard en Norvège un centre scientifique possédant une plateforme d’observation dédiée à « l’étude physique de la haute atmosphère ». « Une des raisons pour laquelle les chinois ont choisi Svalbard est que la station peut collecter des données issues des satellites en orbites à chaque fois qu’ils passent au dessus du Pôle Nord, explique le journaliste norvégien Bård Wormdal. En 2007 et 2008, la base a permis aux Chinois de pirater à quatre reprises un satellite américain utilisé pour internet, a révélé le Huffington Post en 2011.

La France en simple observateur

Historiquement très liée au Pôle Nord et membre observateur du Conseil de l’Arctique, la France ne joue aujourd’hui plus dans la même cour que les Etats-Unis, la Chine, le Canada, ou la Russie. « La France est en train de se faire éjecter du jeu Arctique  », déplore Franck Galland, spécialiste des conflits hydriques à la Fondation pour la recherche stratégique. Sans vision stratégique, ses objectifs se bornent à du militantisme et à la volonté de signer un traité de sanctuarisation de la région. « C’est regrettable, constate Franck Galland, car en France sont présentes des entreprises comme Veolia, leader mondiales dans les technologies de prévention, et qui possèdent une expertise reconnue dans les services à l’environnement ». Des entreprises à même de répondre au défis écologiques et technologiques posés par l’exploitation des ressources naturelles du Grand Nord, selon le spécialiste. « Une exploitation aussi inéluctable que la fonte de la banquise », ajoute-t-il froidement.

Alors que la France hésite, l’Arctique est en passe de voir se cristalliser un nouvel affrontement est-ouest avec en arbitre la Chine et les autres puissances intéressées par le Grand Nord. Cela peut-il pour autant mener à un conflit armé ? « Il est peut probable qu’une guerre éclate pour l’Arctique, se risque à prédire Mikå Mered, de Polarisk Group. Mais une guerre pourrait démarrer en Arctique pour le partage de l’hégémonie mondiale  ».

 

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